mardi 3 février 2009

Guido Navarro, Teatro del Cronopio, Quito

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Voyons, je suis Guido Navarro, acteur et directeur du Teatro del Cronopio, un groupe qui travaille autour de ce qu'on appelle le théâtre du geste. Cela fait 27 ans que je fais du théâtre en Équateur et à d'autres endroits. J'ai fait des études au niveau universitaire et des ateliers avec plusieurs professeurs du monde entier et j'ai suivi pendant deux ans une école professionnelle à Rome.
Cela fait environ deux ans que nous développons une expérience pédagogique aussi et que nous mettons en place une compagnie-école, ou une école-compagnie, un peu inspirée de la Commedia dell'Arte - où l'acteur entrait apprendre son métier directement au sein des compagnies.
Le Teatro del Cronopio est une troupe qui travaille en relation avec d'autres espaces, d'autres territoires de la ville, d'Équateur et d'Amérique latine au niveau des ateliers, des expériences collectives, des collaborations, d'échange d'expériences non seulement théâtrales mais aussi d'expériences de vie. Il y a d'ailleurs une "route d'échange" entre la Colombie et l'Équateur, de plusieurs compagnies : Bogotá-Cali-Quito et on espère étendre cette année la "route d'échange théatrale" entre le Pérou, l'Équateur et la Colombie. On espère qu'elle s'étendra un jour du Mexique jusqu'au sud du Chili et de l'Argentine et que les acteurs pourront voyager de troupe en troupe, se présenter et partager.

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
A moi ? A moi ??? L'envie de faire du théâtre ? C'était une période en Amérique latine, dans les années '70-'80, où les jeunes nous avions une réflexion assez dirigée vers la gauche, vers la révolution. Nous trouvions que les langages, certains espaces politiques étaient épuisés. Il y a donc eu des processus plus proche de la création collective, vers un théâtre qui cherchait le changement social, un théâtre avec des éléments de la culture populaire, pas seulement d'Amérique latine mais du monde entier. A cette époque, j'ai commencé à étudier la peinture, le dessin, un peu de littérature et, en ces circonstances, j'ai fini par être invité à jouer au sein d'un groupe de théâtre. J'ai alors commencé à étudier le théâtre, la mise-en-scène, la pédagogie et je m'y suis mis a fond. J'ai fait d'autres choses, mais...
Au niveau groupe, au début des années '80, j'appartenais à un groupe d'anarchistes. On a fait beaucoup d'expériences qui nous ont permis, à travers l'art, d'avoir une idée plus claire de ce qu'on voulait réellement, au-delà de la gauche, au-delà de la politique : comprendre les cultures populaires d'Amérique latine.

Pouvez-vous nous raconter la genèse du Teatro del Cronopio ?
Le Teatro del Cronopio. Voyons... quand je suis allé en Europe, au milieu des années '80, j'ai eu une expérience avec le Patio de Comedia, on a fait une pièce que je joue encore depuis 15 ans, non, ça fait 18 ans ! Ça fait 18 ans que je la joue et le théâtre est toujours plein, pas loin de 1800 représentations.
Petit a petit, beaucoup de personnes se sont jointes. En même temps, j'avais l'idée de réaliser une pratique théâtrale plus... plus proche de ce que j'avais développé en Italie. Et, en 1991, j'ai créé un spectacle de clown. Ce n'était pas encore sous le nom du Teatro del Cronopio, parce que comme j'étais seul, je travaillais juste en tant que Guido Navarro. Mais en 1992, si je ne me trompe pas, une actrice espagnole est arrivée, un ami avec qui je travaillais avant est revenu du Mexique et Pilar a insisté pour que nous nous appelions le Teatro del Cronopio. Elle s'identifiait beaucoup au mot "cronopio" parce que les "cronopios" sont un type de personnages - Julio Cortázar (auteur argentin, ndlr) divise poétiquement l'humanité ainsi : espoir, réputation et "cronopio" - ceux de l'espoir sont ceux qui soupirent, les romantiques, ceux qui attendent des changements, ceux qui subissent. Réputation, ce sont ceux qui réussissent, les entrepreneurs. Et les "cronopios" sont ceux qui ne s'installent nulle part, toujours distraits, qui se trompent, qui s'endorment dans un hôtel et se réveillent dans un autre, qui ratent l'avion, ils sont un peu stupides. Et mon amie Pilar est exactement comme cela : elle demandait où était sa cigarette alors qu'elle était en train de fumer, elle demandait où étaient ses lunettes alors qu'elle les avait sur sa tête... C'est pour cela qu'on s'appelle Teatro del Cronopio.

Pourquoi avoir choisi de faire du théâtre du geste ?
Ce n'est pas vraiment un choix volontaire, cette technique. Dans un pays où il n'y a pas d'auteur dramatique, où il n'y a pas de gens qui écrivent du théâtre - il y a un courant, je veux dire, 2 ou 3 dramaturges - c'est un phénomène latino-américain, surtout en Équateur, en Bolivie et au Pérou où, dans les groupes de théâtre, on travaille tous les éléments, et aussi la dramaturgie. Les stratégies pour créer une dramaturgie, tout ce qui forme la base du théâtre gestuel - terme assez ambigu d'ailleurs, mais ça vient de France, j'aurais préféré qu'il y ait une autre façon de cataloguer cette forme théâtrale, théâtre populaire, traditionnel,... - mais ça vient avec cette étiquette de théâtre "gestuel". L'unique différence c'est que la forme créative part d'une structure et non d'un texte, c'est tout. On travaille avec des masques, des pantomimes, des mimes-parlants, avec les bandes dessinées,... une série d'éléments qui forment les outils-mêmes de cette école en France mais qui sont réellement des principes du monde entier. Donc, dans notre stratégie de création dramatique ça nous facilite beaucoup, le travail gestuel, parce que l'acteur comprend clairement qu'il ne s'agit pas de dire un texte mais de construire une action et que le mot-même finit par être une action aussi, qu'elle détermine la forme créative.

Pensez-vous que le théâtre doive systématiquement dénoncer ou peut-il être un pur divertissement ?
Je ne sais pas, ça dépend de chacun. Parfois le théâtre veut occuper des espaces qui ne sont pas dans sa nature. L'essence du théâtre est dionysiaque, c'est simplement l'autre face de la tragédie : la fête, la danse, tous ce qui est en rapport avec les rites, les rites de la terre, tous ces éléments qui sont vivants dans notre culture andine contemporaine. Nous-mêmes faisons partie d'expériences rituelles éloignées du théâtre. Cet acte théâtral, ce qui fait la révélation, pour moi, c'est le mystère. Tout le mystère, révèle. Donc, l'intention de l'acteur, du créateur, du groupe, du metteur-en-scène, c'est d'être "révélateur" de quelque chose. C'est donc une dénonciation, ou une attaque, une provocation ou une confirmation du statu quo. Ça dépend. Je ne crois pas au théâtre politique, parce qu'aucun artiste, aucun art n'a fait de révolution, ce sont les révolutionnaires qui la font. Toute cette histoire de la création collective dans les années '70, le changement en Amérique latine nous a fait penser que tous nous pourrions faire partie de la révolution. Et, réellement, le révolutionnaire est autre. Je ne sais pas si nous sommes révolutionnaires. Il réagit face a l'injustice, l'inégalité. Mais l'art n'a pas tant de force. Par contre, il est capable de montrer d'autres visages du phénomène social, par exemple.
Dans les années '70, dénoncer à travers le théâtre a été nécessaire, mais l'essence du théâtre s'est perdue. La fonction sociale du théâtre s'est perdue, la fonction historique, la fonction rituelle, politique. Parce qu'il est passé simplement a une seule de ces fonctions. La même chose qu'auraient pu faire Mussolini, utiliser l'art comme propagande.
Nous préférons que le spectateur ait la capacité d'élucider ce qui se passe sur scène, s'il y a quelque chose à dénoncer, le spectateur le comprendra. Bien sur que la majorité des artistes d'Amérique latine nous avons une attitude de dénonciation, mais ce n'est pas le théâtre.
Beaucoup d'eau a déjà coulé sous les ponts du théâtre latino-américain et il a dorénavant plusieurs facettes. Avant son identité se résumait a la dénonciation. Le théâtre d'Enrique Buenaventura par exemple, qui plantait les forces sociales au travers de deux personnages.
Moi, Guido Navarro, je pense que, dans l'univers, il n'existe pas de contraires ni d'opposés, mais des complémentaires. Cette idée du "je-individu", du "je-vérité" est une idée occidentale. Ce n'est pas une idée naturelle. L'idée naturelle, la forme naturelle de la connaissance de la relation avec la terre c'est ce qui s'appelle la parité, la proportionnalité. C'est une relation qui va et qui vient. L'homme et la femme forment une paire, comme le jour et la nuit, le soleil et la terre.
Nous avons compris avec l'expérience que ca ne suffisait pas que le théâtre soit un théâtre de dénonciation. C'est normal, c'est un théâtre jeune, éloigné des paradigmes du théâtre bourgeois, du théâtre commercial, du théâtre dramatique conventionnel et qui cherchait des formes propres pour que l'Amérique latine s'exprime.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Le divertissement.
Mais dans le sens profond du terme. "L'univers", c'est un terme erroné. Parce que "uni-vers" signifie une seule direction et il n'y a pas une seule direction. A la limite un "pari-vers" (deux directions) ou un "multi-vers" (de multiples directions). Le monde est très compliqué : la physique quantique, le monde andin avec sa cosmovision, le monde maya , tibétain...
Divertir, pour moi, c'est justement cela : créer la possibilité sur scène de proposer une autre vision, une autre direction à la vision du spectateur.
En tant qu'acteur, l'important pour moi c'est d'émouvoir, l'émotion du spectateur, réussir a ce qu'il s'émeuve avec moi. Penser avec le cœur, et non plus avec la tête. C'est ce que nous avons ici tout le temps : nos gens andins sont comme ca. Vous avez du le voir pendant votre voyage, ils ne pensent pas, ils vous ouvrent leur cœur et vous entrez.

Aucun commentaire: